Journal de bord des gazelles J5

3h45. Gaël nous réveille avec la délicatesse d’un charpentier...

 

Craignant le froid de la pleine nuit, nous enfilons tout ce qui peut tenir chaud : Chloé empile jean et pantalon de pluie avant de monter sur le pont. Les nuits sur Belem sont fraîches. Parées à prendre le quart ? Parées ! Comme à notre habitude, nous nous répartissons en trois équipes : veille, dispo et barre. Il nous faudra tenir 4 heures. Nous sortons à pas de loup, afin de ne pas réveiller les autres gazelles. Le temps prend une autre dimension à bord, notre vie est rythmée par les quarts. Nous perdons la notion du temps : oubliées montres et portables, nous nous en remettons aux réveils des gabiers ou des autres gazelles et à la cloche pour les déjeuners et dîners.

 

Le ciel est particulièrement dégagé et la magie de la nuit opère à nouveau. Encore et pour la première fois pour toutes les gazelles qui n’avaient pu participer la nuit précédente. Allongées sur l’avant du bateau, nous sommes happées par ce spectaculaire spectacle d’étoiles. Morgane se croit sur le bateau de Peter Pan. Chacune prépare un vœu en guettant la prochaine étoile filante quand une météorite lente et lumineuse déchire le ciel. Infinikif (plus que parfait) ! La voie-lactée se dessine parfaitement. Tanguy, le second capitaine s’amuse de notre crédulité. Et non, ce n’était pas la lumière du phare de Gibraltar mais plutôt l’éveil de Vénus qui luit extraordinairement fort. Il s’y connaît en constellations et nous emmène en voyage stellaire : le Cygne, Cassiopée. On peut même observer la Galaxie Andromède à l’œil nu ce soir.

 

La connexion avec la terre est coupée. Nous sommes seules avec nous-mêmes. Le Belem nous plonge dans une introspection. Notre commandant nous dit que nous ne serons plus les mêmes après cette expérience en mer. Nous en sommes désormais convaincues. Entre confidences, fous-rires, silences… Carine nous confie que ce sera la première fois en 29 ans qu’elle ne pourra pas souhaiter l’anniversaire de son papa. Alors Jean-Paul, si vous lisez ces lignes, Carine vous embrasse fort, et toutes les gazelles se joignent à elle pour vous souhaiter un très bel anniversaire !

 

6h30. Nous sommes à deux doigts de faire la danse du soleil pour gagner le pari lancé par Tanguy sur l’heure du lever du soleil. Ce sera finalement 6h47, et une émotion indescriptible lorsque surgit des flots l’astre rouge. Yvan nous l’avait dit : le lever de soleil pour un marin est comme une petite résurrection.

La journée avance, nous avons trouvé notre rythme. Chacune ses tâches, chacune ses occupations. Un cours de matelotage s’organise avec Mathieu à l’avant. Nœud de 8, nœud de chaise, nous sortirons de Belem en « Mac Giver ».

 

Aujourd’hui, c’est grand bleu mais pétole. Le Belem est à l’arrêt, il paraît même qu’il recule… Ce n’est pas comme ça qu’on va gagner la course ! On fait chapelle, c'est-à-dire que le vent nous vient de face et que nous sommes scotchées. Nous tentons pendant 2 heures de multiples manœuvres pour faire avancer le navire. Géraldine propose même de créer une 23e voile… Peine perdue, il va nous falloir être patientes et attendre des vents plus propices. Naviguer, c’est s’adapter, disait le commandant Perry. Alors nous nous adaptons. Thomas et Yann nous proposent d’enfiler à nouveau les baudriers pour aller crapahuter sur le mât de beaupré, c'est-à-dire à la pointe extrême du navire. Perchées au-dessus de l’eau, nous avons l’impression de chevaucher le monde !

 

Ça y est, le vent est de retour et nous reprenons notre route vers le sud-est . Nous sommes à 125 miles, soit 230 km, de Casablanca, l’air s’est adouci. Toutes les gazelles sont désormais sur pied. Séverine expérimente le sparadrap sur le nombril, une des nombreuses techniques pour lutter contre le mal de mer, et il semblerait que cette fois ce soit la bonne. « Parce que ça fait deux jours que j’ai pour seul horizon le fond d’un seau et ma bannette."

 

Géraldine nous réunit sur le pont : les Belemiades sont lancées. Une sorte d’olympiades en mer. Plusieurs équipes sont constituées. Il nous faudra trouver un nom et relever plusieurs défis jusqu’à la fin de la traversée : quizz, « selfie » avec le commandant, chasse au trésor… L’objectif : apprendre à encore mieux nous connaître en dehors des équipes de quart, et nous amuser. Et nous nous amusons beaucoup sur le Belem. L’équipage a toujours le bon mot ou des blagues de marin à raconter. Kenan, aussi surnommé le prince Charles de Belem, nous réunit pour un exposé sur le transport maritime des chevaux, son sujet de mémoire.  Nous sommes attentives à ses explications quand soudain, des bruits de chevaux nous parviennent. C’est l’équipage qui passe en trombe devant nous, imitant la cavalcade. Nous partons d’un fou rire. La vie est douce sur le Belem, la vie est belle sur le Belem.