Journal de bord des gazelles J10

Entre parenthèses...

 

Nous avons mis nos vies sur pause et avons adopté le rythme du Belem. Pas de repas à inventer, pas de montre à consulter, les gabiers nous réveillent lorsque nous sommes attendues et la cloche est là pour nous inviter à regagner la table. Tout est organisé autour de l’appartenance au tiers et de notre numéro de mug. Le contraste est saisissant : la frénésie de notre quotidien, contre la sérénité de l’océan. Agnès, à l’avant du bateau, a le regard perdu sur l’horizon. Nous sommes dans le temps des dernières fois. Dernier coucher de soleil, dernier quart. Il n’est pas rare de surprendre une gazelle perdue dans ses pensées, une larme naissante, partagée entre l’envie de rester à bord dans le roulis du Belem, et celui de retrouver ses proches. « Dernier quart, à l’avant du bateau, je profite du ciel étoilé et je sens l’air sur mon visage. Comme une caresse déposée sur ma joue gauche, celle du cœur, comme la main de l’homme qu’il me tarde de retrouver. Même souffle sur ma joue droite comme pour me rappeler que j’y suis encore, sur ce magnifique Belem, pour quelques heures encore… ». « Beaupré, à l’avant du bateau, cette sensation de liberté, la tranquillité règne, le lever de soleil me laisse bouche-bée. Juste envie que le temps s’arrête, rester ici, dernier spectacle avec mes gazelles et les matelots. »

On enchaîne avec le briquage des cuivres. Satisfaction du travail bien fait lorsque surgit sur le winch de bronze et les sabords de la dunette, l’éclat lié au Mirror et à beaucoup d’huile de coude. L’heure est à l’entretien du beau Belem, monument historique dont nous avons le privilège de partager le quotidien. A côté de moi, Thomas s’emploie à renouveler quelques épissures, tandis que Yann et Géraldine nous initient à la choucane, afin de protéger les voiles du ragage. L’occasion de nouveaux cours de matelotage et vocabulaire marin plus familiers après dix jours et qu’on craint de ne plus utiliser avant longtemps: torons, épissoire, paumelle… Comme une invitation à revenir à la mer dans le futur, à présent qu’on a la chance d’en détenir quelques clés. La fin d’un voyage qui s’ouvre sur la perspective de nouvelles aventures…

 

17h, rendez-vous sur le spardeck pour une des dernières épreuves des Belemiades : quizz culture générale Marine au programme sous la houlette de Géraldine et Pierre. La fin d’après-midi sera consacrée à la confection de costumes pour l’épreuve de la photo déguisée. Accoutrées de bric et de broc trouvés sur le bateau (qui ne manque pas de ressources insolites) et avec la complicité de l’équipage, les gazelles rivalisent d’imagination et de créativité : bancs de poissons surgelés, pirates à l’abordage du Belem, sirènes enchanteresses, L’empire contre-attaque sur le Belem, pêche au gros, défilé Jean-Paul Gaultier…

21h30, Géraldine nous entraîne dans des chants bretons. Nous chantons et reprenons les couplets à tue-tête, Jocelyne en tête. Ensemble, nous sommes ensemble. Castagnettes de fortune avec des petites cuillères, nous battons le rythme. Virginie, Laura, Alexia, Karine et d’autres investissent la cuisine sous le regard amusé de Gaël notre cuisinier. Objectif crêpes pour tous au petit-déjeuner. Nous nous sentons comme en famille. Laura et Virginie, improvisées bigoudènes pour l’occasion, passeront une partie de la nuit en cuisine entre fous-rires et danses. Une douce mélodie nous attire sur le gaillard : le son de la guitare et du yukulélé de Mathieu et Sylvain nous berce. La lune nous éclaire doucement. Certaines gazelles prolongeront les discussions tard dans la nuit comme pour mieux oublier que nous devrons bientôt nous dire au revoir.